L’autre soir, j’étais au front row d’un des défilés les plus attendus de la saison en compagnie de M. Pinot Noir et d’Anna. Toute la presse et les influenceurs se sont déplacés pour admirer le travail de la maison.
Nous discutons de sujets existentiels pendant le show comme « le KFC de Strasbourg-Saint-Denis doit-il devenir un lieu de pélerinage depuis le passage de KK ? » quand soudain Anna vomi son lunch du Ritz. Je me tourne vers le podium et j’aperçois alors deux chaussures fluo à strass qui m’aveuglent et me fracturent la rétine.
Où est cet empaffé de Régis le régisseur et pourquoi Kaïa Gerber n’a pas changé de chaussures avant de défiler ? C’est un scandale je suis révoltée ! Kaïa gerbe à son tour et glisse dans le vomi monogrammé d’Anna. Beaucoup aimerait être à sa place.
L’affreux soulier vole en l’air et atterri devant moi. Mon dieu, il s’agit d’une Crocs à plateforme ! Cette chaussure que j’ai vu tant de fois sur des amateurs de jardinage et de courses dominicales à l’Intermarché de Biganos-les-Bains et que mon cerveau n’a pas souhaité mémoriser est l’accessoire phare du défilé Balenciaga.
Les influenceurs sont en émoi, ils enflamment la toile à coup de stories et immortalisent ce moment unique « Oh my god, c’est trop beau, on dirait une licorne consanguine », « Plutôt team licorne ou team sirène guys ? ». Ils cherchent tous un moyen de capter l’attention de leurs followers volages et infidèles qui peuvent passer d’un discours de Greta Thunberg à une vidéo de chat qui twerke en moins de deux stories.
Soudain j’aperçois le Directeur Artistique de la maison en backstage (celui avec un nom de dentifrice berlinois). Il file s’enfermer dans les toilettes et s’effondre. Je frappe à la porte « Enfin ne te mets pas dans des états pareils, les influenceurs ont apprécié c’est le principal non ? Moi même je songe à m’acheter une paire ». Pour mieux soutenir, il faut savoir mentir.
Le verrou s’ouvre et il se lance dans un monologue tel Harpagon dans L’Avare de Molière :
« Juste Ciel Materzialist ! Le monde est aveugle (par amour…) ! C’est un message révolutionnaire que j’envoie à travers ces claque-merde à paillettes. Je sublime le quotidien à coup de cabas Tati, de sac Ikéa et de t-shirt DHL. Je plume ces bourges prêts à mettre un SMIC dans du plastique. Je leur fais croire que la vraie mode vient de la rue et pas de l’Avenue Montaigne. Je vends du superflu à tous ces êtres qui cultivent une passion pour les burgers vegan et les gadgets techno. Pour faire court : je suis le Robin Hood by Air des temps modernes qui volent les idées des pauvres pour mieux les vendre aux riches. »
Je suis sans voix. Pendant que certains digèrent leur dîner sous un plaid en pilou pilou devant TF1 je suis entrain de vivre un moment historique : le dentifrice berlinois vient de me révéler la subtilité de son esprit post-luxe et anti-conformiste.
Le luxe est mort, vive le luxe !
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